À quel point Pluto, réécriture policière du Robot le plus fort du monde, diffère-t-il de l’histoire pleine d’action de 1964? Comparatif entre l’oeuvre d’Osamu Tezuka et la réécriture signée Urasawa et Nagasaki.
Dans les deux œuvres, le cœur de l’histoire repose sur l’implacable traque de Pluto contre une liste prédéfinie de sept cibles : les meilleures constructions robotiques encore en activité. Naoki Urasawa évoque mêmes leur potentiel de « destruction massive ».
Notons qu’avant Le robot de plus fort du monde, aucun de ces sept robots – excepté Astro – n’était apparu dans l’univers d’Astro Boy…
Astro Boy
Malgré son apparence d’enfant sage, Astro est un des robots les plus perfectionnés au monde. Créé au Japon en 2003 par le professeur Tenma, qui espère remplacer son fils Tobio après sa mort dans un accident de voiture, il est abandonné dans un cirque avant d’être recueilli par le professeur Ochanomizu. Avec son sens de la justice et ses pouvoirs impressionnants, il résout de nombreuses affaires et participe même à quelques conflits!
Dans les deux œuvres, on retrouve chez Astro une certaine naïveté, Urasawa respectant le caractère du personnage de Tezuka. Leur aspect physique est similaire jusqu’à la coiffure, et l’on retrouve certains de ses pouvoirs caractéristiques, comme sa force herculéenne et sa capacité à voler grâce à des réacteurs situés sous ses pieds.
En revanche, si l’Astro de Tezuka est volontaire est toujours prêt à en découdre, Urasawa insiste davantage sur son caractère de petit garçon et son envie de normalité, dans un monde qui l’a érigé au statut d’enfant-star après le trente-neuvième conflit d’Asie Centrale.
Il faut également noter que l’Astro original impressionne avant tout par sa puissance « de cent mille chevaux » et ses talents polyvalents au combat, comme le prouve la mitraillette cachée dans son arrière-train… Dans la réécriture, lors de la première apparition d’Astro, l’accent est mis sur son intelligence artificielle hors du commun, qui lui permet de ressentir de nombreuses émotions humaines. Et même de s’ouvrir à des sensations inédites aux robots, comme le goût. La force contre l’intelligence, une question de génération?
Tezuka confère évidemment un rôle phare à Astro Boy face au terrible Pluto, qui apparaît très vite : leur première confrontation débute dès la sixième page! Bien qu’ils soient amenés à se retrouver à plusieurs reprises, les deux adversaires ne se battent pas à chaque fois. Ils développent ainsi un sens de l’honneur qui les pousse à s’entraider. Pour vaincre son redoutable adversaire, Astro est confronté à un dilemme… et à une évolution particulièrement marquante à l’époque : décupler volontairement sa force, au risque de devenir une machine totalement incontrôlable.
Subitement guidé par sa rage, les cheveux étincelants et entouré par une aura de lumière, Astro fonce vers Pluto, mais sombre dans les abysses, au sens propre comme au figuré. Cet excès d’orgueil, cette escalade de puissance au mépris de la personnalité sans failles du héros peut choquer les lecteurs d’alors.
Urasawa s’inspire de cette évolution en offrant une « mort » à Astro au cours de son récit, avant de le ressusciter de manière transfigurée, décuplant au passage son intelligence – toujours en lieu et place de la force – au prix d’un afflux de haine. Au final, dans les deux cas, ce héros éternel finit par recouvrer ses esprits lors de son dernier combat, qui est aussi l’occasion d’exprimer une morale pacifiste…
Gesicht
Alors que l’on pouvait s’attendre à retrouver Astro dans le rôle du héros principal de Pluto, Urasawa et Nagasaki ont préféré mettre en avant Gesicht, l’un des septs robots surpuissants imaginé par Tezuka.
L’alliage particulier de Gesicht, le zéronium, rend son corps insensible à la plupart des attaques, notamment les lasers et autres rayons électromagnétiques utilisés par Pluto. Il dispose également d’une batterie de pistolets situés sur son torse.
Bien qu’Urasawa préfère placer ses armes sur des mains interchangeables, il livre malgré tout un clin d’œil au récit original lorsqu’on aperçoit l’inspecteur d’Europol torse nu, le tronc bardé de connecteurs rappelant les orifices de ces différents canons.
Dans les deux versions, Gesicht est résolu à faire appliquer la loi : contrairement aux autres cibles de Pluto, qui cherchent à le combattre frontalement, il souhaite arrêter son ennemi tel un criminel commun. Et, au passage, démasquer les commanditaires de ce complot.
La première différence entre les deux versions du personnage est avant tout physique : le Gesicht de Tezuka cache son apparence robotique sous un grand imperméable et un chapeau mais il n’hésite pas à dévoiler son allure métallique au combat.
Urasawa préfère pour sa part mettre en scène un héros semblable aux êtres humains, afin d’alimenter une confusion entre les deux genres. Il développe ainsi autour de lui une position sociale importante, une vie de famille et même un passé mystérieux. Autant d’éléments inédits dans la première œuvre.
Les caractères des deux Gesicht diffèrent également : le robot de Tezuka est plutôt souriant et fier, parfois charmeur alors qu’Urasawa et Nagasaki lui confèrent un profil plus sérieux, voire torturé.
Mais la plus grosse divergence tient à l’importance du personnage. Chez Tezuka, Gesicht n’est qu’une victime de plus, rapidement éludée : il apparaît en tout et pour tout sur sept pages! Il disparaît en manifestant une résistance honorable au combat. Dans la réécriture, Gesicht est le seul robot à ne pas périr directement de la main du terrible roi des enfers…
Dans les deux intrigues, en revanche, l’inspecteur-robot meurt sous la pluie, avant que son décès ne soit relayé à la télévision.
Mont-Blanc
Le robot le plus puissant de Suisse est la première victime de Pluto : sa puissance de 135 000 chevaux ne l’empêche pas d’être battu à plates coutures. Même s’il jouit d’une certaine popularité mondiale, Mont-Blanc choisit de vivre en retrait dans les Alpes Suisses, où il travaille en tant que guide de haute montagne.
Dans les deux versions, Mont-Blanc est le premier robot à disparaître. Il est aussi le seul, parmi les sept robots les plus forts du monde, à ne pas disposer d’une apparence humaine : Urasawa reprend d’ailleurs presque à l’identique le design original imaginé par Tezuka.
Le passé de Mont-Blanc est largement plus développé dans Pluto, notamment sa participation au trente-neuvième conflit d’Asie Centrale. Ses actes de bravoure, son caractère amical et jovial justifient les funérailles nationales que lui réserve le peuple suisse. On peut également noter que le contexte criminel de sa mort ne fait aucun doute chez Tezuka alors qu’il est d’abord question d’un décès accidentel dans Pluto, avant que Gesicht ne rétablisse la vérité.
Le guide de haute montagne disparaît aussi subitement qu’il apparaît dans les deux versions, mais son combat est plus développé dans l’histoire originale. L’affrontement tourne court malgré tout : sa mort permet surtout au lecteur de se rendre compte de la nature impitoyable de Pluto…
North 2
Ce robot spécialement concçu pour le combat dispose d’armes impressionnantes, qu’il peut cacher afin de surprendre ses adversaires. Avant de subir le courroux de Pluto, il travaille comme domestique en Écosse.
Dans les deux versions, North 2 fait preuve d’une certaine docilité puisqu’il suit les caprices de ses maîtres sans broncher. Outre ses bras rétractables, il dispose d’une faculté qui lui permet de détecter l’arrivée de ses futurs adversaires.
La principale différence entre les deux North 2 concerne ses employeurs. Dans la version d’Osamu Tezuka, il vit en compagnie de son créateur, un savant à l’allure ronchonne qui voit en Pluto un parfait spécimen à désassembler. Ainsi, dans l’histoire originale, la mentalité de North 2 n’est pas si différente de celle de Pluto : suivre les désirs de « puissance » de son créateur, envers et contre tout.
Chez Urasawa et Nagasaki, North 2 est traumatisé par ses souvenirs de guerre. Il travaille pour Paul Duncan, un vieux compositeur aveugle, avant de s’envoler pour affronter Pluto. Les caractères des deux maîtres sont finalement assez proches : acariâtres et autoritaires, ils finissent tous les deux par s’attacher à ce domestique atypique.
Là encore, si Urasawa et Nagasaki préfèrent éluder l’affrontement, Tezuka l’expose pour sa part dans toute sa splendeur. Dans les deux cas, le combat se déroule dans les airs et se conclut par l’explosion de North 2.
Brando (Brand)
Brando est un robot originaire de Turquie, à l’allure particulièrement imposante, qui lui permet de multiplier les charges colosalles contre ses adversaires.
Les deux Brando ont finalement assez peu de similitudes, aussi bien physiquement qu’historiquement. On notera cependant que Brando évoque dans les deux cas son amitié pour le défunt Mont-Blanc : un sentiment qui l’amène à vouloir affronter Pluto au lieu d’attendre sa « visite ».
Urasawa et Nagasaki se réapproprient totalement le personnage, en lui inventant un passé et une vie familiale. Le récit original laisse en réalité peu de place au développement du lutteur, puisqu’il apparaît seulement le temps de son affrontement… Dans Pluto, Brando se retrouve doté d’un corps à apparence robotique, alors qu’il utilise une armure pour ses combats de pancrace.
Le combat entre les deux adversaires est assez similaire dans les deux œuvres : Brando fonce sur Pluto de tout son poids avant de l’entraîner sous l’eau. L’issue du duel reste indécise, jusqu’à ce qu’une flaque d’huile se dessine sous les vagues, et que le vainqueur remonte à la surface. Chez Urasawa et Nagasaki, Brando affirme avoir gagné, sans qu’aucune preuve ne confirme ses dires, alors que le Pluto de Tezuka est gravement blessé au cours du combat : il subit par la suite de nombreuses pannes.
Hercule (Héraclès)
Sa puissance 400 000 chevaux incite Hercule à se considérer comme le robot le plus fort du monde. Cet androïde doté d’un corps prédestiné vit en Grèce, tel l’illustre demi-dieu dont son créateur semble s’être inspiré.
La principale ressemblance entre les deux versions du personnage tient avant tout à l’aspect physique de leur armure de combat, qui rappelle un style de protection antique. Dans les deux mangas, Hercule, qui veut prouver sa valeur au combat, refuse l’aide proposée par Epsilon pour vaincre Pluto.
Comme ils l’ont fait avec Brando, Urasawa et Nagasaki offrent à Hercule un avatar humanoïde, qui lui permet de s’intégrer dans la société. Son armure lui sert donc essentiellement lors des combats de pancrace, dont il est champion du monde. Ce sport de lutte lui permet d’ailleurs de devenir ami avec avec Brando, alors que Tezuka n’évoque jamais une telle affinité entre les deux lutteurs.
Bien qu’ils soient différents dans les oeuvres, les rebondissements au combat suivent des phases similaires. Le guerrier grec déjoue tout d’abord certains des attributs de son adversaire : son incapacité à utiliser ses bras en vol chez Tezuka, la révélation d’une partie de son corps dans la réécriture. Hercule perd ensuite suite l’usage de ses armes : sa lance et son bouclier d’un côté, son corps de lutteur de l’autre. Enfin, sa défaite repose essentiellement sur la résistance de son adversaire, puisque le lutteur explose juste avant de toucher au but.
On peut aussi noter que, dans les deux cas, Epsilon se contente d’assister au duel, à défaut de pouvoir y participer, pour prendre la fuite après la disparition d’Hercule.
Epsilon
Epsilon habite en Australie, où il élève plusieurs enfants humains. Ce robot pacifiste n’en est pas moins considéré comme l’un des plus puissants au monde, grâce à son système basé sur l’énergie solaire.
Le caractère pacifiste d’Epsilon prédomine dans les deux versions, bien qu’il s’explique davantage par un sentiment de peur chez Tezuka.
Contrairement aux autres victimes de Pluto, Epsilon n’a pas été créé pour se battre. Il aussi l’un des seuls – avec Astro – à « ressentir » des sentiments proches de ceux des humains, comme le prouve son affection pour les enfants. Il s’en occupe respectivement dans une école maternelle et dans un orphelinat selon la version de l’histoire.
Epsilon manifeste une véritable capacité au combat lorsqu’il se trouve au pied du mur, que ce soit grâce à sa capacité de vol, à sa grande vitesse ou encore à ses destructeurs rayons lumineux.
Le robot de Tezuka est légèrement plus complexe que celui réinterprété par Urasawa et Nagasaki. Loin de la perfection psychique et physique de sa réécriture, Epsilon est en effet capable de recourir à quelques bassesses pour se débarrasser de son adversaire, en s’alliant avec d’autres robots ou en profitant d’un moment de relâchement. Un comportement qui se justifie toutefois par sa volonté de protéger les choses qui lui tiennent à coeur, un trait de personnalité qui le distingue de ses semblables.
Dans les deux histoires, Epsilon est le plus à même de vaincre Pluto : il parvient même à prendre le dessus lors de leur première rencontre. Il préfère toutefois épargner son adversaire au lieu de l’achever. Chez Tezuka, il parvient à faire sombrer Pluto dans une fosse sédimentaire sous-marine, avant de finalement l’en extirper, pris de remords. Chez Urasawa et Nagasaki, il laisse l’ennemi s’échapper après l’avoir privé d’un membre, ne pouvant se résoudre à tuer un semblable.
La plus grande qualité d’Epsilon, sa compassion envers les enfants, est aussi celle qui le mène à sa perte. Il perd en effet ses facultés destructrices afin de protéger un de ses « fils », ses deux mains faisant office de dernier vestige… Une scène qui se déroule, dans chaque version, sous la neige.
Pluto
Entre les deux œuvres, les motivations de Pluto diffèrent quelque peu.
Pluto est un robot perse créé par le professeur Abullah, qui le dote d’une mission simple : éliminer les robots les plus puissants du monde. Une élimination censée rétablir l’autorité du royaume de Perse, déchu depuis les dernières guerres. Bien qu’il ne tolère aucun compromis dans son implacable entreprise assassine, Pluto se trouve malgré tout confronté aux failles de la robotique, puisqu’il ne peut s’en prendre aux personnes qui ne figurent parmi ses cibles désignées.
Les deux Pluto sont assez similaires physiquement, avec leur immense corps noir, surplombé par d’immenses cornes rappelant celles du roi des enfers de la mythologie romaine, auquel le titan doit son nom. Si Pluto apparaît dans toute son envergure dès la première case de l’histoire de Tezuka, Urasawa et Nagasaki entretiennent en revanche longuement le mystère autour de son apparence…Un procédé finalement attendu chez un auteur adepte des monstres sans noms et autres figures sans visage!
Les capacités de combat des deux Pluto sont également identiques, puisque l’on retrouve ses pouvoirs originaux (tornades, éclairs dans la réécriture, assortis au passage d’une gamme de talents climatiques. Le colosse est aussi une machine en proie à de nombreux dilemmes, déchirée entre sa mission destructrice et des sentiments plus proches de l’honneur ou de la compassion…
Alors que Tezuka présente les incohérences psychologiques de Pluto comme des limites aux lois de la robotique définies par Asimov, Urasawa et Nagasaki choisissent pour leur part d’aller plus loin en lui attribuant un véritable dédoublement de personnalité. Leur Pluto est avant tout guidé par la haine inculquée par son créateur, mais aussi doté d’une vie antérieure, celle de Sahad. Dans la réécriture, pour pour vaincre Pluto, il faut d’abord commencer par surmonter sa haine…
Autre différence notable : le Pluto de Tezuka porte une bombe, prête à exploser en cas de défaite pour entraîner son adversaire avec lui.
Au fil des combats, la machine de guerre s’adoucit : ses failles sont mises au jour par Uran, Astro et Epsilon. Chez Tezuka, Pluto découvre petit à petit la loyauté et va même jusqu’à demander l’aide de ses adversaires. Avant de leur exprimer de la gratitude en les sauvant en retour. Au cours du combat final, la victoire d’Astro est plus psychologique que physique : Pluto est touché par sa gentillesse et son altruisme, qui l’incitent à lui prêter main forte pour stopper une éruption volcanique. Pluto agit ainsi contre sa nature de combattant.
Au final, le colosse choisit de se sacrifier en emportant avec lui le terrible Bora. Une mort sans doute prévisible, mais qui montre toute la complexité du personnage. Ce sinistre pantin prouve par ses actions que la haine peut être désamorcée autrement que par la haine elle-même… Il permet ainsi de faire rêver d’une nouvelle époque de paix pour les robots.
Le professeur Abullah (Aboora)
L’ex-bras droit du dirigeant de Perse est aussi le créateur du terrible Pluto, dont il ne reste jamais très loin, afin de surveiller son avancée et de procéder à d’éventuelles opérations de maintenance.
Le professeur Abullah est sans doute le personnage qui diffère le plus entre les deux versions, ce qui explique la difficulté de leur trouver des points communs… On peut toutefois noter qu’ils sont dotés d’une intelligence significative et d’un caractère très réfléchi. Le mystère autour de leur identité est également entretenu dans les deux oeuvres.
Chez Tezuka, Abullah n’est pas l’instigateur de la quête destructrice de Pluto : il se contente de suivre les ordres du Sultan, à qui il offre sa création. Le professeur possède cependant un caractère ambigu : on se demande pourquoi ce scientifique de génie obéit aussi aveuglément à cet infâme tyran, au-delà de son intérêt financier.
Dans la réécriture, le professeur est bien à la tête de la sombre machination, décidé à venger son peuple et sa famille, disparue pendant la dernière guerre : il inculque donc sa propre haine à sa création, animée par l’esprit de son fils robotique.
Le professeur Abullah est systématiquement rattaché au professeur Goji, le créateur de Bora, qui prend également part à la bataille tardivement dans les deux récits. Urasawa et Nagasaki conserve d’ailleurs l’une des plus importantes révélations de l’histoire originelle, lorsque l’on apprend que ces deux noms se rapportent à une seule personne… et à un robot, qui plus est!
Les objectifs des deux personnages diffèrent cependant, tout comme leur sort final. Chez Tezuka, Abullah n’est pas le grand méchant de l’histoire, ce rôle étant réservé au Sultan. Abullah finit d’ailleurs par contrecarrer lui-même les objectifs de son commanditaire. Cet ancien domestique du Sultan construit Pluto sous ses ordres mais, après s’être rendu compte de l’inutilité de la manœuvre, il conçoit une machine encore plus puissante, Bora, afin de l’arrêter et d’offrir une belle leçon de morale à l’ancien despote. Abullah lui reste cependant fidèle : il le raccompagne à son palais, après lui avoir promis qu’il ne recommencerait plus jamais.
Dans la réécriture, la double identité d’Abullah l’amène à se mentir à lui-même, au point d’en oublier sa nature robotique. Goji est finalement submergé par sa haine, ce qui l’amène à fusionner sa consience avec le robot Bora pour amorcer la destruction de la Terre… Une catastrophe évitée grâce au sacrifice de Pluto. Cette conclusion est moins joyeuse, mais se révèle clairement plus réaliste dans le contexte réécrit par Urasawa et Nagasaki.
Le Roi Darius XIV / Le Sultan Chotch Chotch Ababa III
Difficile d’établir un rapprochement élaboré entre ces deux personnages, distincts jusque dans leur patronyme… Ces deux protagonistes servent essentiellement l’intrigue en tant qu’anciens dirigeants du royaume déchu de Perse.
Chez Osamu Tezuka, le Sultan au nom volontairement désuet, reconnaissable à son turban, à sa petite moustache et à son somptueux palais, est la parfaite caricature d’un émir du Moyen-Orient… Son règne est marqué par ses dépenses inconsidérées pour son seul confort personnel, qui entraînent sa destitution après la révolte de son peuple. Le Sultan décide alors de se faire passer pour mort, pour mieux fomenter un terrible complot censé lui faire retrouver sa splendeur d’antan.
Autre époque, autres mœurs : dans un souci de crédibilité, Urasawa et Nagasaki ne pouvaient tomber dans les stéréotypes. Le duo préfère s’inspirer de la guerre en Irak de 2003 : le Sultan, renommé Darius XIV, est clairement inspiré de Saddam Hussein. Le dictateur du royaume de Perse est destitué de son trône par les troupes des Nations Unies, suite aux soupçons de recel de robots de destruction massive dans son pays.
Contrairement au Sultan original, Darius se fait emprisonner dans un pénitencier géré par les États-Unis, Karatepa, une transposition flagrante de Guantanamo. Le dictateur est à l’origine du projet de destruction des sept robots les plus puissants du monde : c’est lui qui ordonne à Goji Abullah de les éliminer pour venger son pays.
Dans les deux cas, on ignore ce qu’il advient du tyran à la fin de l’intrigue. Urasawa et Nagasaki éludent son sort, alors que Tezuka le montre en train de pleurer la disparition de Pluto, après avoir découvert la machination d’Abullah.
Bora (Boller)
Bora est plus proche d’une machine de guerre sans âme que d’un véritable robot : Tezuka lui attribue une puissance à vingt millions de chevaux, tandis qu’Urasawa et Nagasaki préfèrent lui réserver des démonstrations de puissance explicites.
Bora se distingue surtout par son apparence colossale et son bruit significatif, « Bora », entendu à chacun de ses mouvements.
Dans l’histoire originale, le professeur Goji présente sa création au sultan afin de la confronter à Pluto. Le Bora de la réécriture apparaît davantage comme une simple enveloppe de combat destinée à accueillir l’esprit de Goji Abullah, lui permettant de menacer la planète de destruction grâce à une bombe à anti-protons.
Bora, dépourvu de tout sentiment, représente autant la destruction à l’état brut que les limites de la course à la puissance robotique. En terme de potentiel pur, il est donc incontestablement le robot le plus fort du monde.
Bora est l’antithèse d’Astro et de ses sentiments positifs : seul le sacrifice de Pluto, revenu dans le droit chemin, permet d’empêcher l’apocalypse.
Le robot le plus fort du monde n’est qu’une aventure d’Astro parmi tant d’autres : on y retrouve donc quelques visages récurrents bien connus des lecteurs d’Osamu Tezuka, comme Naoki Urasawa et Takashi Nagasaki… qui prennent un plaisir évident à se réapproprier ces personnages!
Le professeur Ochanomizu
Cet éminent scientifique japonais s’est toujours battu pour la paix entre humains et robots. Une position qu’il défend notamment en tant queministre des sciences.
Ochanomizu recueille Astro après son abandon dans un cirque par son créateur, le professeur Tenma. Chez Tezuka, le scientifique est toujours prêt à épauler le petit héros en le réparant ou en l’aidant à résoudre diverses énigmes.
Ochanomizu joue un rôle particulièrement important dans Le robot le plus fort du monde, bien plus que dans la réécriture : il est en effet le premier à découvrir où se terrent Pluto et ses commanditaires, et il n’hésite pas à se rendre sur place pour faire entendre sa colère. Il est toutefois pris en otage à cette occasion et sert bien malgré lui d’appât pour attirer Astro. Le professeur est aussi l’un des seuls témoins du combat final entre le petit robot et Pluto.
Dans la réécriture, le rôle d’Ochanomizu est assez limité : il sert principalement de faire-valoir aux actions d’Astro – en jouant notamment, là encore, le rôle d’appât – ou du professeur Tenma. Naoki Urasawa et Nagasaki rendent cependant un bel hommage à sa nature pacifique et altruiste à travers une scène touchante dans laquelle il essaie de ranimer un chien-robot.
Le professeur Tenma
Le professeur Tenma est sans doute l’un des plus grands concepteurs de robot de tous les temps. Il est aussi le « père » du célèbre Astro, qu’il crée afin de remplacer Tobio, son fils disparu. Après avoir réalisé que cet androïde ne remplacerait jamais son enfant, il décide de s’en débarrasser.
Le scientifique devient alors un homme de l’ombre, dévoué tout entier au perfectionnement de la robotique, au prix de plusieurs sacrifices. Ce statut lui confère une dimension énigmatique, voire inquiétante.
Dans Le robot le plus fort du monde, le professeur Tenma réapparaît pour proposer un marché à Astro : augmenter sa puissance afin de lui permettre de vaincre Pluto, au risque que son corps ne le supporte pas. On peut d’ailleurs se demander d’où lui vient un tel élan de générosité pour une création qu’il avait pourtant jetée aux oubliettes…
Urasawa et Nagasaki complexifient le personnage en lui attribuant un passé sulfureux : « leur » professeur a en effet aidé Abullah à créer une intelligence artificielle parfaite, qui deviendra par la suite Goji « Abullah ». Bien qu’il soit conscient des terribles risques encourus par son opération, le professeur Tenma décide de ramener Astro à la « vie » en lui injectant des émotions extrême. Faut-il y voir une expérimentation scientifique malsaine, ou un vrai geste de compassion pour son « fils » abandonné? Le professeur Tenma reste en effet un père traumatisé par une tragédie personnelle.
Uran (Urane)
La sœur d’Astro a été créée par le professeur Ochanomizu pour agrandir le cercle familial du héros. Uran dispose donc d’une puissance similaire à celle de son grand frère, bien qu’elle n’ait pas les mêmes pouvoirs : elle est par exemple incapable de voler.
Uran cherche malgré tout à se rendre utile et à prouver qu’elle est aussi forte qu’Astro. Ainsi, dans l’histoire originale, Uran veut prouver qu’elle mérite d’être une des cibles de Pluto. Elle n’hésite pas à se faire passer pour son frère lors d’un défi lancé par le colosse… Cette scène figure d’ailleurs parmi les moments-clé du récit, puisqu’elle révèle quelques unes des faiblesses de Pluto.
Urasawa et Nagasaki livrent une interprétation différente du personnage : alors qu’Astro dispose d’une des intelligences artificielles les plus perfectionnées, sa soeur est pour sa part dotée d’un don qui lui permet de ressentir les émotions de tout un chacun, humains comme robots (et animaux).
Le duo reprend par ailleurs la scène mythique de la rencontre entre Uran et Pluto : la fillette est ainsi la première à entrevoir la personnalité de Sahad. Les deux robots se lient d’amitié. Juste avant son sacrifice final, Pluto demande d’ailleurs à Astro de transmettre ses salutations à Uran.
Après sa rencontre avec Pluto et la « mort » d’Astro, Uran reste en retrait. Elle veille principalement sur le retour en force de son frère.
Shunsaku Ban/Hige Oyaji
Personnage récurrent de l’univers d’Astro Boy, mais aussi de multiples œuvres de Tezuka, Shunsaku Ban, alias l’Oncle Moustache, est l’instituteur d’Astro. Détective à ses heures perdues et spécialiste en arts martiaux, le vieil homme moustachu apporte souvent un appui de taille au petit robot. Mais aussi une touche humoristique à la série : ses légendaires crises de colère en font le Donald Duck de Tezuka!
Dans Pluto, Urasawa et Nagasaki peinent à intégrer le personnage… qui est d’ailleurs absent dans Le robot le plus fort du monde. Sa présence est donc surtout un clin d’oeil à l’univers d’Astro. D’autant que son apparence a de quoi surprendre les fidèles d’Urasawa puisqu’elle reprend le visage du docteur Leichwein, l’un des protagonistes de Monster! Comme pour mieux reconnaître qu’il s’était déjà inspiré de l’œuvre de Tezuka par le passé?
- Les noms entre parenthèses correspondent aux traductions de la version française de l’anthologie Astro Boy disponible aux éditions Kana. ↩
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