F. Toutlemonde : « On sent l’influence de Moebius dans le one-shot d’Urasawa »
Frédéric Toutlemonde, qui a piloté la partie japonaise du recueil « Le jour où ça bascule », nous en dit plus sur la nouvelle de huit pages réalisée par Naoki Urasawa… dont nous publions parallèlement deux planches en avant-première.
Depuis qu’il s’est installé au Japon, il y a treize ans, Frédéric Toutlemonde oeuvre pour la promotion de la bande dessinée internationale. D’abord par le biais de sa maison d’édition, Euromanga, fondée en 2008, puis grâce au festival Kaigai Manga Festa, à Tokyo, qui en est aujourd’hui à sa quatrième édition.
Le manager de la branche japonaise des Humanoïdes Associés revient pour La Base secrète sur les origines du « Jour où ça bascule », à paraître le 2 décembre en France, dont nous publions deux extraits avec l’aimable autorisation des Humanoïdes Associés : les planches 6 et 7 de la nouvelle réalisée par Naoki Urasawa.
Que pouvez-vous nous dire sur la nouvelle réalisée par Naoki Urasawa?
Urasawa nous a dessiné une histoire futuriste de huit pages. Elle se déroule sur une planète extraterrestre : on assiste à une scène de ménage entre un homme et sa femme. On ne sait pas trop si c’est un homme d’affaires ou un policier galactique, mais il annonce à sa femme qu’il doit partir en mission. C’est ce moment un peu tendu, qu’on peut trouver au sein de n’importe quel couple, quand l’un des deux dit à l’autre qu’il doit partir très loin pendant un moment (rires).
C’est très humoristique et assez décalé, on sent vraiment dans cette histoire l’influence de Moebius. D’abord à travers la référence graphique sur la première page mais aussi avec la thématique, ce décalage entre un univers qui peut être très science-fiction et des relations humaines très comiques, burlesques.
Aviez-vous évoqué l’idée d’un one-shot avec Naoki Urasawa dès votre rencontre de 2012, pendant la première édition du Kaigai Manga Festa?
Non, lorsque Urasawa a participé à notre festival, c’était la première fois que Fabrice Giger [le directeur des Humanoïdes associés] venait au Japon pour participer au Kaigai Manga Festa. Ça a juste été l’occasion d’une brève rencontre entre les deux. À l’époque, on n’a pas parlé de ça, puisque le projet n’était pas encore d’actualité.
Justement, comment est née l’idée d’un recueil réunissant des auteurs américains, japonais et français?
À l’origine, Les Humanoïdes associés c’est une maison d’édition française puisqu’elle a été créée par Moebius en 1974. Mais depuis deux ou trois ans, la société-mère a été transférée aux Etats-Unis, où les Humanoïdes avaient une branche depuis le début des années 2000.
Elle a donc trois pieds-à-terre : à Paris, à Los Angeles et maintenant à Tokyo. Pour célébrer cette triple présence, on a pensé à une anthologie d’auteurs des trois continents qui ont une vraie affinité avec l’oeuvre des Humanoïdes Associés. Nous avons démarré le projet à l’été 2014.
Comment s’est déroulé le pilotage des auteurs japonais?
Ça a été à la fois simple et compliqué. On savait d’un côté quels auteurs avaient été influencés par Moebius, ceux qui avaient une sensibilité pour la bande dessinée et les comics américains, donc ça a tout de suite orienté nos recherches. Mais ça a été compliqué parce que ce sont de très grands auteurs, extrêmement sollicités, qui ont peu de temps pour faire des choses originales.
On a eu la chance d’avoir de très grands auteurs qui ont pris de leur temps pour faire quelque chose de très bien. Taiyô Matsumoto et Naoki Urasawa sont les deux plus grandes pointures de ce groupe japonais. D’autres auteurs de renom n’ont pas pu avoir autant de flexibilité dans leur emploi du temps et ont décliné notre invitation.
Comme Katsuhiro Ôtomo?
En l’occurrence, c’était un autre problème, lié au fait que Katsuhiro Otomo ne dessine vraiment plus beaucoup en terme de bande dessinée : il essaye de se remettre un peu à faire du manga mais c’est quelque chose qui ne lui est pas forcément très facile, il a énormément navigué dans les zones de l’animation…
Les auteurs japonais qui ont accepté étaient-ils encadrés par leurs éditeurs ou au contraire totalement libres?
Non, on a vraiment demandé à des auteurs qui nous semblaient être des auteurs « entiers », c’est-à-dire des auteurs capables de rédiger eux-mêmes leurs histoires, des mangakas souvent affranchis de leur relation assez forte avec les responsables éditoriaux.
Que ce soit Naoki Urasawa, Taiyô Matsumoto ou bien Katsuya Terada, Keiichi Koike et Atsushi Kaneko, il s’agit d’auteurs qui voguent un peu en solo et qui ont l’habitude de passer d’un éditeur à un autre, sans être forcément suivis de manière historique par quelqu’un.
Par ailleurs, nous n’avons eu aucun contact avec nos confrères japonais [Shôgakukan, Kôdansha…].
Le thème du recueil a-il- été imposé aux auteurs?
Nous sommes partis sur un thème commun, « le jour où ça bascule » (« the tipping point » pour les éditions anglaises et japonaises), en laissant les auteurs se débrouiller avec cette idée. Ils s’en sont parfois sortis de façon évidente : certains auteurs ont fait des choses très didactiques sur le sujet. Pour d’autres, en revanche, ça a été beaucoup plus compliqué… c’est un point de bascule qui prend parfois des allures un peu bizarres (rires).
Les nouvelles des auteurs japonais sont-elles aussi réalisées intégralement en couleur?
Oui, on a la chance d’avoir cinq auteurs qui ont travaillé en couleur ou en deux tons dans le cas d’Atsushi Kaneko. On a été gâtés par l’équipe japonaise.
Les mangakas ont-ils éprouvé des difficultés dans la conception en couleur?
Keiichi Koike nous a fait des pages magnifiques en couleur, à l’aquarelle, ça faisait longtemps qu’il n’en avait pas fait donc il en a bavé (rires). C’était aussi intéressant pour cette raison puisque c’était l’occasion pour ces auteurs de travailler sur des formats et avec des méthodes différentes de celles du manga.
Dans quel sens seront publiées les nouvelles des mangakas?
Les mangas seront publiés dans le sens occidental.
Avez-vous déjà défini une date de sortie pour l’édition japonaise?
Elle n’a pas encore été fixée mais ce sera au début de l’année 2016, en janvier ou février.
Peut-on imaginer d’autres projets encore plus ambitieux entre artistes internationaux, comme une collaboration sur une même histoire?
Ce sont des pistes qu’on espère vraiment explorer aux Humanoïdes puisqu’on dispose désormais de la structure adaptée pour des partenariats et des échanges créatifs entre les trois continents. On le faisait déjà beaucoup entre les Etats-Unis et la France avec les deux structures mais on espère maintenant mettre ça en place entre la France et le Japon ou les Etats-Unis et le Japon.
Un mot pour conclure?
Je pense que c’est un très beau recueil : ça a été un projet très long à réaliser, dont on a un peu accouché dans la douleur puisque tout le monde devait rendre ses planches à temps, et qu’il fallait traduire dans tous les sens… Mais, au final, ça fait un très beau livre et j’espère que ça fera un très beau cadeau de Noël pour le public français, qui a le privilège d’ouvrir le bal.
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1 commentaire
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octobre 21, 14:25 mikaoioi Merci pour cette itw, je trouve ce projet tout bonnement excellent bravo à eux. Petites questions : A combien d'exemplaires est-il prévu ? Y aura-t-il des précommandes ? J'imagine que pas mal de gens risquent de sauter dessus :)