L’héroïne de Happy! est un personnage à part dans le monde du manga, qui pulvérise les clichés sexistes à coups de raquette…

HAPPY! (KANZENBAN) © 2004 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Shôgakukan
Happy! est un seinen atypique puisqu’il reprend les codes du shônen : le parcours de Miyuki suit en effet un modèle répandu. La jeune fille, dotée d’un véritable don pour le tennis, ne peut se relancer qu’après l’intervention d’un vieux « maître ». Mais Naoki Urasawa reprend en réalité ces attributs pour mieux les détourner.
Miyuki poursuit un objectif difficile : sauver sa famille de l’endettement en devenant la meilleure joueuse de tennis du monde. Un objectif qui implique de sacrifier ses amourettes avec les personnages masculins ou féminins qui l’entourent.

HAPPY! © 1994 Naoki URASAWA/Shôgakukan
Des stéréotypes attendus…
Miyuki progresse dans le monde du tennis tout en conservant des caractéristiques historiquement à la femme dans les fictions : elle est responsable de sa famille. La maternité est omniprésente puisque la joueuse s’occupe de ses frères et de sa sœur comme une mère. Miyuki est également une excellente cuisinière. Enfin, sa beauté ne laisse pas la gent masculine indifférente…
On constate donc que Miyuki ne manque pas de caractéristiques qui font d’elles une « vraie » femme socialement parlant, si l’on se base sur des stéréotypes classiques. Elle n’est pas une sorte de « garçon manqué » complètement masculinisé. Au contraire, elle est même fleur bleue, naïve et romantique, comme de nombreuses héroïnes de shôjo. À ce titre, Miyuki s’oppose frontalement à Yukiji de 20th Century Boys qui déteste les mangas pour fille et ne croit pas au prince charmant.
… pour mieux être démontés
Mais, loin de la passivité des héroïnes Disney ou du rôle de potiche réservé à de nombreux personnages secondaires féminins, Miyuki est une vraie battante, qui n’hésite pas à mettre ses sentiments amoureux de côté pour réaliser son but.
Miyuki fait partie d’un club de femmes fortes propre à Urasawa, aux côtés de Kanna, adolescente frondeuse, ou encore de Nina dans Monster, combattante émérite, intelligente et déterminée. Ces deux jeunes filles pourraient d’ailleurs être au coeur de cet article… si elles n’étaient pas des personnages secondaires, contrairement à Miyuki.

MONSTER KANZENBAN © 2008 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Shôgakukan | 20th CENTURY BOYS © 2003 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Takashi NAGASAKI/Shôgakukan
La joueuse de tennis ne se soumet à aucun homme ni à aucune figure patriarcale : Thunder représente le maître, mais il se trouve souvent en position d’infériorité face à sa disciple. Il lui transmet son savoir tout en restant en retrait, voire carrément en dehors du stade, puisqu’il est de la fédération de tennis. Dans Happy!, il n’y a donc aucune figurine masculine, aucun « père », qui tire les ficelles. Le monde du tennis japonais est d’ailleurs dirigé par deux femmes : Utako Ohtori et sa rivale Ryugasaki!
Naoki Urasawa prend un plaisir évident à jouer avec les attentes du lectorat concernant le sexe des personnages. Tandis que Miyuki adopte la posture du héros masculin classique de shônen, Keïchiro, lui, devient son pendant inverse… Soumis à sa mère, gâté et dépensier, bien élevé, extrêmement passif et amoureux transi mais timide, il finit par devenir l’objet sexuel de Choko et par se prostituer!
Keichiro possède donc toutes les caractéristiques d’un personnage secondaire féminin de fiction habituel… mais c’est un homme, justement parce que Miyuki est une femme.

HAPPY! © 1998 Naoki URASAWA/Shôgakukan
La mise à mal des codes genrés
Cette situation est propre à Urasawa : l’auteur aime en effet jouer avec les codes des sexes dans ses mangas. Il y place souvent des femmes fortes en compagnie de anti-héros plutôt faibles, à l’instar des couples Kenji-Yukiji, Tenma-Eva ou encore Kanna-Chôno. Ces couples ont des rapports de force très différents de nos attentes « classiques » : Kenji est un faiblard qui s’écrase devant Yukiji, Tenma se soumet à la volonté despotique d’Eva…L’inspecteur Chôno se montre quant à lui craintif et hésitant face à une Kanna courageuse.

HAPPY! © 1994 Naoki URASAWA/Shôgakukan
Le changement de sexe est aussi récurrent dans les oeuvres d’Urasawa. Outre Johann, qui se déguise en femme à plusieurs reprises pour semer le trouble, on trouve régulièrement des travestis : Nathalie dans Happy!, Britney et Maraya dans 20th Century Boys.
Ils contribuent à l’intrigue, sans jamais être moqués ou rejetés pour ce qu’ils sont : ce sont de vrais personnages, alors qu’ils auraient pu être cantonnés à un rôle comique.
Enfin, Happy! est le seul manga de l’auteur à mettre en scène un personnage homosexuel, Kikuko Kaku. Un choix particulièrement intéressant dans un contexte sportif, où les amours entre personnes de même sexe sont souvent taboues.
Naoki Urasawa se tient à distance des clichés ou des attentes, loin des préjugés ou du politiquement correct. Il invente des personnages qui bousculent nos attentes genrées, cultivant de fait une ambiguïté passionnante.
Il n'y pas encore de commentaire(s)
Soyez le premier ou la première!