Batman R.I.P
Ce volume marque la fin d'une première période dans le run de Morrison. Même si l'aboutissement final de cette période ne prendra place que dans Final Crisis, on peut considérer que c'est dans ce volume que nous assistons à la fin de Bruce Wayne et Batman tels que nous les connaissons.
Je ne vais pas tenter de vraiment résumer les évènements de Batman R.I.P. Principalement parce que l'histoire n'a pas une structure linéaire. Même s'il y a bien des évènements narratifs marquants, comme la découverte du Black Glove, qui devient enfin visible en attaquant directement Batman et Alfred, et en détruisant la Bat-Cave avant de prendre possession d'Arkham.
Mais comme je l'ai dit, cette histoire n'a rien de linéaire. En fait, c'est presque une réactualisation de l'une des histoires les plus connues de Morrison: "Arkham Asylum". Pas une réactualisation dans le sens "plus moderne", mais plutôt parce que la vision qu'a Morrison de Batman a évolué. Il joue donc avec certains ingrédients semblables à son histoire de 1989, mais en ajoute d'autre, et détourne plusieurs de ses anciennes théories. Et pour cela, il créée une sorte de "hyper continuité" où se rejoignent des éléments vieux de plusieurs décennies, que Morrison modèle comme bon lui semble, et tout un tas d'indices présents dès "Batman and Son". Pour en arriver à ce final introspectif où Batman se voit réellement tomber dans la folie.
Ainsi les motifs du Black Glove étaient là dès le début. Les couleurs rouge et noir, la roulette, etc… Et autre chose était déjà présent, un graffiti: "Zur-en-arrh". Ce qui était dans les années 50 le nom d'une planète ou vivait un autre Batman, et où Bruce Wayne avait des pouvoirs égaux à Superman chez nous, Morrison va en faire une arme psychologique à double tranchant. Il fait de ce mot un code, une arme utilisée par le professeur Hurt lors de l'expérience de privation sensorielle pour laquelle Batman s'était porté volontaire plusieurs années auparavant et qui, une fois utilisé, brise complètement l'esprit du Dark Knight.
Le "mot magique" n'est bien évidemment pas suffisant. Le Black Glove a préparé minutieusement son attaque contre le psyché de Batman. Déjà à l'époque de l'expérience originelle, où l'objectif était bien de le déséquilibrer, alors qu'ils avaient fait passer cela pour des effets secondaires. Morrison fait aussi référence à toutes les fois où Batman a été exposé à des hallucinogènes pendant ses aventures, justifiant un peu plus son état psychologique endommagé. Puis Jezebel fait douter le Caped Crusader sur sa santé mentale, le comparant à un enfant s'imaginant qu'il est un super-héros. Elle insinue même qu'il pourrait être le Black Glove à lui tout seul.
Mais la force de Batman, c'est son intellect. Le fait de se préparer à toute éventualité, même perdre la raison. Pour cela il avait créé une autre personnalité, destinée à prendre le dessus si Bruce Wayne n'en avait plus la capacité. C'est ainsi qu'après l'attaque du Black Glove on le retrouve d'abord errant dans la rue, puis (après un court parcours initiatique absurde en compagnie d'un dealer qu'on apprendra en fait être un fantôme !) embrassant l'identité du Batman de Zurr-En-Arrh !!!
Ainsi pour survivre, Batman a choisi le chemin de la folie, ce qui bien entendu fait écho au personnage du Joker. Le Joker qui interviendra d'ailleurs plus tard dans l'histoire et rappellera au lecteur la théorie de "super-personnalité" lui permettant de s'adapter à toute nouvelle situation, mais cette fois-ci c'est pour parler du Dark Knight que cette théorie est évoquée.
Et c'est sur ces éléments que se déroule l'affrontement final entre Batman et le Black Glove. Ce qui avait été introduit comme une lutte du bien contre le mal se fait sous fond de théâtralité et de faux semblants. C'est un bal masqué où personne ne porte sa véritable identité, que ce soit Batman où le Docteur Hurt (qui se fait passer pour Thomas Wayne, le père de Bruce). Ses acolytes font tous penser à des super-vilains connus du Batverse, mais ce ne sont pas les originaux. La fin du combat laisse un Batman présumé mort.
Mais on le retrouve dans les deux épisodes suivants, en fait capturé par des acolytes de Darkseid pour créer des clones de l'homme chauve-souris (la multiplicité toussa toussa, vous commencez à connaître le refrain). Et pour ce faire, ils volent sa mémoire. C'est encore une fois (la dernière ?) l'occasion de revisiter le concept de Batman, non pas en théorisant mais simplement en montrant à nouveau les principaux évènements de sa carrière, comme le moment où il a décidé d'avoir un costume, les débuts du Joker, sa rencontre avec chaque Robin, etc… Comme un baroud d'honneur avant que Batman ne se réveille… pour combien de temps ?
Notez que ces deux derniers épisodes peuvent sembler placés n'importe comment, vu qu'il est difficile de les lier au reste de l'histoire, ne serait-ce que chronologiquement. C'est parce qu'ils sont en fait liés au crossover Final Crisis. Et comme d'habitude, un crossover, ça fout la merde niveau lisibilité.
Ce premier cycle se finit sur beaucoup d'interrogations à priori. Mais commençant à connaître un peu la façon d'écrire de Morrison, je vois plutôt ça comme des portes ouvertes. Le lecteur a beaucoup d'éléments en main, et il peut en faire ce qu'il veut, comme un puzzle qui n'aurait pas qu'une seule solution. Et je pense que le meilleur exemple de ceci est Bat-Mite, que Morrison fait intervenir comme un conseiller du Batman de Zurr-En-Arrh (et qu'il renomme Might pour l'occasion). On se demande s'il n'est qu'une hallucination, et Batman lui-même finit par lui poser la question; est-il un être de la cinquième dimension ou un produit de son imagination ? Et Might, avant de disparaître, lui répond que la cinquième dimension et l'imagination sont la même chose.