Des histoires courtes méconnues

Histoires-courtes-urasawa

Par Alexis Orsini

À ses débuts professionnels, dans les années 1980, Naoki Urasawa réalise de nombreuses histoires courtes. Sans jamais réussir à percer, à cause d’un certain Osamu Tezuka…

Ce recueil de plus de cinq cent pages, paru au Japon en l’an 2000 sous le titre Shoki no Urasawa (« Urasawa de la première période »), contient de nombreuses nouvelles réalisées par le mangaka à ses débuts, entre 1980 et 1986. Les récits les plus anciens, comme Street Corner Gangs et Return, ont même été créés à l’époque où Urasawa était encore amateur.

L’influence graphique de Katsuhiro Ôtomo

SHOKI NO URASAWA © 2000 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Shôgakukan

SHOKI NO URASAWA © 2000 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Shôgakukan

La majorité de ces nouvelles est toutefois postérieure à Beta!!, sa première œuvre publiée à titre professionnel. À l’époque, Naoki Urasawa travaille en tant que « doublure » de son idole, Osamu Tezuka : ses histoires courtes sont censées être publiées dans le Big Comic au cas où le « Dieu du manga » ne réalise pas assez vite ses chapitres de L’Arbre au soleil.

Malheureusement pour le mangaka débutant, Tezuka rend systématiquement ses planches à temps. Les créations « de secours » réalisées par Urasawa sont publiées dans des magazines moins connus et donc moins visibles du lectorat.

L’éditeur Shôgakukan a d’ailleurs attendu le début de notoriété de Naoki Urasawa, porté par le succès de Yawara! à la fin des années 1980, pour éditer ces histoires courtes, dans deux recueils distincts : Dancing Policeman (1987) et N.A.S.A (1988). Histoires courtes de Naoki Urasawa compile en fait ces deux anthologies.

Ce recueil permet de découvrir le style naissant de l’auteur : outre un style graphique clairement influencé par Katsuhiro Ôtomo, on retrouve de nombreux éléments narratifs annonciateurs de ses futurs succès, tels que l’omniprésence de personnes âgées et d’enfants, de personnages en train de courir, de la musique, etc.

La version française du recueil contient également une interview d’Urasawa sur ses débuts ainsi qu’une préface rédigée par Karyn Poupée, correspondante de l’AFP à Tokyo.

Pineapple Army, l’auto-défense en quelques leçons

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Par Alexis Orsini

Voyages à travers le monde, héros au passé trouble, multiples personnages secondaires… la première série longue de Naoki Urasawa annonçait déjà ses thèmes de prédilection.

Jed Goshi, vétéran de la guerre du Vietnam, enseigne l’auto-défense à New York. Techniques de survie, maîtrise de différentes armes… les clients de l’ex-militaire américain-japonais bénéficient d’une formation complète.

Goshi se fixe cependant une règle d’or : ne jamais s’impliquer personnellement dans les affaires qu’on lui soumet. Un précepte qu’il bafoue systématiquement, guidé par son grand cœur…

L’influence de Rambo

PINEAPPLE ARMY © 1986 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Kazuya KUDÔ/Shôgakukan

PINEAPPLE ARMY © 1986 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Kazuya KUDÔ/Shôgakukan

Pineapple Army est la première série longue de Naoki Urasawa. Bien qu’il soit uniquement crédité aux dessins, le mangaka a également participé à l’écriture du scénario, aux côtés de Kazuya Kudô et de Takashi Nagasaki.

De 1985 à 1988, pendant ses trois années de parution dans le Big Comic Original, le manga a connu un certain succès. Notamment grâce aux nombreuses scènes d’action et au format épisodique de narration : chaque chapitre raconte une histoire indépendante des autres. Une spécificité qui permet également à Urasawa de défricher ses futurs thèmes de prédilection : les voyages dans le monde, les personnages secondaires attachants…

Le seul fil conducteur de l’intrigue, qui s’étend sur huit volumes, réside dans le passé trouble de Jed Goshi, un héros musclé inspiré de John Rambo.

À quand une réédition française?

Pineapple Army est le premier manga de Naoki Urasawa paru en France… mais aussi sa seule série à n’avoir jamais été éditée intégralement. La sortie du manga, débutée en 1998 chez Glénat, n’a en effet jamais continué, sans que l’on sache vraiment pourquoi. Le premier volume français de Pineapple Army – qui mélange en réalité des chapitres tirés des deux premiers tomes japonais – est donc le seul disponible dans l’Hexagone.

En janvier 2012, Glénat justifiait ce status quo par un refus de Naoki Urasawa :

Cela fait bien longtemps que nous cherchons à relancer la série Pineapple Army. Plusieurs propositions ont été faites, mais pour l’instant, l’auteur ne semble pas déterminé à discuter de la reprise de ce titre.

Avant de rejeter la faute sur l’éditeur japonais du mangaka quatre mois plus tard :

Nous avons posé diversement la question à son éditeur, mais nous n’avons jamais reçu de retour positif. La situation des anciens titres de cet auteur reste complexe, et se traite au cas par cas. Si c’est possible en tout cas, nous le ferons.

Des propos démentis par Naoki Urasawa pendant son passage à Japan Expo, en juillet 2012 :

[À propos de la rumeur selon laquelle il refuse de publier les oeuvres de ses débuts à l’étranger] On m’a déjà posé cette question hier ou avant-hier, mais je n’ai jamais dit une chose pareille : ce n’est qu’une rumeur. Je souhaite que toutes mes œuvres soient traduites et que tout le monde puisse les lire. Je n’ai jamais eu l’intention d’empêcher leur traduction.

En septembre 2013, Glénat a finalement reconnu qu’une éventuelle réédition de Pineapple Army se ferait chez un concurrent :

Nous ne sommes plus détenteurs des droits de Pineapple Army. Nous gardons bon espoir de voir une édition de cet excellent titre en français. Néanmoins, celle-ci ne sera pas réalisée par Glénat.

Yawara!, le judo à marche forcée

une-yawaraPar Alexis Orsini

Lorsqu’il commence Yawara!, en 1986, Naoki Urasawa est loin d’imaginer le succès phénoménal qui attend sa comédie sportive romantique. C’est le début de sa notoriété.

Comme toutes les lycéennes de son âge, Yawara ne pense qu’à s’amuser. Une préoccupation incompréhensible pour son grand-père Jigoro, ancien champion olympique de judo, obsédé par un objectif : voir Yawara lui succéder au sommet de cette discipline.

La lycéenne mène donc un quotidien mouvementé, entre les entraînements rigoureux de Jigoro, les compétitions et la pression des médias, alors qu’elle aspire seulement à une vie ordinaire… et notamment à trouver l’amour.

Cette comédie sportive romantique a révélé Naoki Urasawa au public japonais : Yawara! n’est pas seulement sa première série longue réalisée sans l’aide de Takashi Nagasaki, c’est aussi son premier grand succès. La série a en effet séduit le lectorat dès son lancement en 1986.

Urasawa, qui souhaite mettre en scène « des relations humaines qui ne donnent rien, des querelles incessantes, des personnages qui ne se comprennent pas les uns les autres » mêle habilement humour et romance autour de sa trame sportive. Mais le mangaka marque surtout les esprits grâce à sa galerie de personnages secondaires attachants, menés par le vieux râleur Jigoro, qui aura même droit à son propre spin-off en 1994.

YAWARA! KANZENBAN © 2013 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Shôgakukan

YAWARA! KANZENBAN © 2013 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Shôgakukan

À l’origine d’un boom du judo

Le succès de Yawara! n’est pas seulement commercial (plus de trente millions d’exemplaires vendus!) et critique (35ème prix Shôgakukan en 1990) : le manga créé à l’époque un véritable boom du judo au Japon.

Les Jeux Olympiques de 1992, à Barcelone, sont en effet très attendus par les nippons : le judo féminin fait pour la première fois partie des disciplines officielles. Et, comme dans Yawara!, une jeune judoka japonaise espère y remporter la médaille d’or…

Ainsi, lorsque Ryoko Tani (née Tamura), dix-sept ans, repart d’Espagne avec une médaille d’argent, le pays, euphorique, lui attribue rapidement le surnom de Yawara-chan, en référence à l’héroïne d’Urasawa!

Le public du Big Comic Spirits suit passionnément le parcours de Yawara! pendant sept ans, jusqu’à la fin de la prépublication, en 1993. Les vingt-neuf tomes parus en font la plus longue série de Naoki Urasawa.

Les fans francophones de l’auteur auront l’occasion de découvrir Yawara! dans sa réédition Deluxe à compter de septembre 2020 aux éditions Kana.